Array Xavi : « Je suis un romantique » - FC Barcelona Clan

En Une | Xavi | dimanche 13 février 2011 à 03:15  | Ajouter aux favoris / Partager  | Email

Xavi, qui se déplace à Arsenal avec le Barça la semaine prochaine, a donné une interview très vivante au quotidien anglais The Guardian. Il revient sur son éducation footballistique, l'avenir de Cesc Fàbregas et son admiration pour Paul Scholes...

Xavi

"Réfléchir vite, chercher les espaces. C'est ce que je fais : je cherche les espaces. Toute la journée."

 

Beaucoup ont décrit la victoire 5-0 du Barça face au Real Madrid comme la plus grande performance jamais réalisée. Même Wayne Rooney admet qu'il s'est levé dans son salon et a commencé à applaudir.

[Le visage de Xavi s'éclaire] Vraiment ? Rooney ? Ça me rend fier. Rooney, wow ! Il est extraordinaire, il pourrait jouer pour Barcelone. Et avant que les gens imaginent des gros titres comme "Xavi annonce l'arrivée de Rooney à Barcelone" - bien que j'adorerais qu'il le fasse ! - je précise : ce que je veux dire est qu'il est notre type de joueur. Cette partie [le Clasico de novembre] était magnifique, la meilleure que j'aie jamais jouée. Ce sentiment de supériorité était incroyable - et contre le Real ! Ils n'ont pas touché le ballon. Madre mia, quel match ! Dans les vestiaires, on s'est donnés une standing ovation.

Vous avez mentionné la domination du Barça dans la possession de balle. Il est tentant d'en conclure qu'on n'a jamais vu une équipe avec une identité - pour le meilleur et pour le pire - aussi claire que celle de Barcelone et de l'Espagne. Tout revient à la possession. Et c'est votre identité - celle qui semble être devenue dominante.

C'est bien que la référence actuelle du football mondial soit à Barcelone, qu'elle soit en Espagne. Non pas parce que c'est la nôtre, mais pour ce qu'elle est. Car c'est un football offensif, pas calculateur, on n'attend pas. Tu presses, tu veux la possession, tu veux attaquer. Certaines équipes ne peuvent pas ou ne passent pas le ballon. Dans quel but jouez-vous ? Quel est l'intérêt ? Ce n'est pas ça, le football. Combiner, passer, jouer. Voilà ce qu'est le football, pour moi du moins. Pour des entraîneurs comme, je ne sais pas, Javier Clemente ou Fabio Capello, il existe un autre type de football. Mais c'est bien que le style du Barça soit désormais un modèle à suivre, pas le leur.

Pourtant, certains ont trouvé le jeu de l'Espagne ennuyeux durant la Coupe du monde. Vous gagniez toujours sur un score de 1-0.

C'est le contraire. Ce n'était pas nous qui étions ennuyeux, mais plutôt l'équipe adverse. Qu'est-ce que cherchaient les Pays-Bays ? Des pénaltys. Ou Robben sur les contres. Bam, bam, bam. Bien sûr, nous étions ennuyeux - l'opposition a tout fait pour. Le Paraguay ? Qu'ont-ils fait ? Ils ont construit un système défensif exceptionnellement bon et attendu une opportunité, à partir de balles perdues. Vers l'avant, rebond, perte de balle. C'est plus dur qu'on se l'imagine lorsqu'on doit faire avec, derrière soi, un type de deux mètres vous dominant de toute sa hauteur.

Alors quelle est la solution ?

Réfléchir vite, chercher les espaces. C'est ce que je fais : je cherche les espaces. Toute la journée. Je suis toujours en train de chercher, toute la journée, toute la journée. [Xavi fait des gestes, comme s'il cherchait quelque chose, en bougeant la tête] Ici ? Non. Là ? Non. Les gens qui n'ont jamais joué ne réalisent pas toujours à quel point c'est difficile. Espace, espace, espace. Comme sur la PlayStation. Je me dis "merde", le défenseur est ici, donc jouons plutôt là-bas. Je vois l'espace et je donne la passe. C'est ce que je fais.

C'est au coeur du modèle barcelonais, et ça fait son chemin à tous les échelons du club, n'est-ce pas ? Quand vous avez battu Madrid, huit joueurs du onze de départ étaient issus des équipes de jeunes du Barça, et les trois finalistes du Ballon d'or de cette année l'étaient aussi - Lionel Messi, Andrés Iniesta, et vous.

Certaines académies de jeunes ne pensent qu'à gagner ; nous, nous nous intéressons à l'éducation. Vous voyez un enfant qui lève la tête, qui joue la passe pour la première fois, pum [bruit de la passe], et vous pensez : "Ouaip, il va le faire." Poussez-le, entraînez-le. Notre philosophie a été imposée par Johan Cruyff : c'est le modèle de l'Ajax. Tout tourne autour des "rondos" [taureaux]. Rondo, rondo, rondo. Tous les jours. C'est le meilleur exercice qui soit. Vous apprenez à être responsable et à ne pas perdre la balle. Si vous la perdez, vous allez au milieu. Pum-pum-pum-pum, toujours en une touche. Si vous allez au milieu, c'est humiliant, les autres applaudissent et se moquent de vous.

Xavi Iniesta Messi Ballon d'or

Votre co-équipier au Barça, Dani Alves, a expliqué que vous ne jouez pas vers la course, vous créez cette course en obligeant vos partenaires à se déplacer vers certaines zones. "Xavi", a-t-il dit, "joue dans l'avenir".

Ils rendent les choses faciles. Mon football, c'est la passe, mais wow, si j'ai Dani, Iniesta, Pedro, Villa... il y a tellement de possibilités. Parfois, je me dis même : mec, untel va se fâcher parce que j'ai déjà donné trois passes, et à lui pas une seule fois. Je ferais mieux de donner la suivante à Dani, parce que ça fait trois fois qu'il remonte tout son flanc. Quand Leo [Messi] n'est pas impliqué, on dirait que ça l'ennuie... et la prochaine passe est pour lui.

Vous parlez de la prépondérance du style sur le résultat, mais non seulement ils peuvent aller ensemble, mais ils doivent aller ensemble, n'est-ce pas ? Arsenal joue un très beau football, Arsène Wenger est un entraîneur très respecté, mais ils n'ont rien gagné depuis des années. Cela pourrait-il arriver à Barcelone ?

Pratiquement impossible. Si vous passez deux ans sans rien gagner, il faut tout changer. Mais vous changez les noms, pas l'identité. La philosophie ne peut être perdue. Nos fans ne pourraient comprendre une équipe qui reste derrière et joue le contre. Malheureusement, les gens ne considèrent les équipes qu'à travers leurs succès. Maintenant, le succès a validé notre approche. Je suis heureux parce que, d'un point de vue égoïste, j'étais en voie d'extinction il y a six ans ; les joueurs comme moi étaient en danger de disparition. Il n'était question que de ça :  deux mètres de haut, puissance, milieu de terrain, bulldozers, seconds ballons, rebonds... mais maintenant, je constate qu'Arsenal et Villarreal jouent comme nous.

Vous considérez-vous comme un défenseur de la foi ? Un idéologiste ?

C'était ça ou mourir. Je suis un romantique. J'aime le fait que le talent, la technique, soient plus appréciés que le physique, aujourd'hui. Je suis content que ce soit la priorité : si ça ne l'était pas, il n'y aurait pas autant de spectacle. On joue au football pour gagner, mais notre satisfaction est doublée. Les autres équipes gagnent et sont contentes, mais ce n'est pas pareil. L'identité fait défaut. En football, le résultat est une imposture. Vous pouvez faire les choses vraiment, vraiment bien - l'an passé, nous étions meilleurs que l'Inter Milan -, sans pour autant gagner. Il y a quelque chose de plus grand que le résultat, de plus durable. Un héritage. L'Inter a gagné la Ligue des champions mais personne ne parle d'eux. Les gens m'ont découvert à l'Euro 2008, mais j'ai joué de cette façon pendant des années. C'est vrai, cependant, que j'ai gagné en confiance et en sérénité. Et ça vient avec le succès.

Le football anglais a-t-il souffert en raison de sa culture du foot différente ?

Il a changé ; leur style est un peu plus technique. Mais avant, il était direct, c'était le jeu du second ballon, le numéro 9 typique était un joueur comme Crouch ou Heskey, et il n'y avait pas de football. Carragher, boom, vers le haut du terrain ; Terry, boom, vers le haut du terrain. Je pense que c'est en train de changer :  Barry, Lampard, Gerrard, Carrick... ce sont des joueurs qui traitent bien le ballon. Tu les vois maintenant et tu penses, Jésus, ils sont en train d'essayer de jouer.

Est-ce que Paul Scholes est le Xavi anglais ?

[Xavi coupe la question, explosant d'enthousiasme] Paul Scholes ! Un modèle. Pour moi, et je suis vraiment sincère, il est le meilleur milieu central que j'ai vu ces 15-20 dernières années. J'en ai parlé à Xabi Alonso. Il est spectaculaire, il a tout : la dernière passe, les buts, il est fort, il ne perd pas le ballon, il a la vision. S'il avait été espagnol, il aurait pu être moins sous-estimé. Les joueurs l'adorent.

Xavi et Scholes

L'Angleterre semble se méfier des joueurs techniques.

C'est lamentable. Le talent doit être la priorité. L'habileté technique. Toujours, toujours. Bien sûr, tu peux gagner sans, mais c'est le talent qui fait la différence. Regarde ces équipes : à la Juventus, qui fait la différence ? Krasic. Del Piero. À Liverpool ? Gerrard, ou Torres avant. Talento. Talento. Quand tu regardes les joueurs et que tu te demandes qui est le meilleur : talento. Cesc, Nasri, Ryan Giggs - ce type est un bonheur, incroyable. Quand je regarde en arrière, j'aimais John Barnes, et Chris Waddle était buenisimo. [Xavi la bouche ouverte, les yeux brillants] Le Tissier ! Bien que leurs styles étaient différents, j'aimais Roy Keane et Paul Ince, aussi. Cette équipe de United était géante - mon équipe anglaise. Si j'étais allé ailleurs, ça aurait été là.

En Angleterre, nous surestimons les joueurs physiques ? Vous avez cité Carragher, Terry...

Whoa ! Attendez ! Soyez prudents. Ils sont fondamentaux. Nous, nous avons Puyol. Techniquement, il n'est pas le meilleur, mais il a cette incroyable manière de défendre. Carragher et Terry sont nécessaires, brillants, mais ils doivent s'adapter au football technique [et pas l'inverse]. Pour moi, ça vient naturellement - comme pour Messi, Iniesta, ou Rooney. Les autres doivent plus travailler. Pour eux, il est difficile de lever la tête et de jouer la passe - mais ils doivent le faire.

Mais quand un joueur est proposé à un club, la première question est : "quelle est sa taille ?"

Avez-vous vu Santi Cazorla [l'ailier de Villarreal] ? Vous pensez que je suis petit, mais lui il m'arrive là [Xavi indique sa poitrine]. Et pourtant, il est brillant. Tout comme Messi, qui est le meilleur joueur du monde. Peut-être que c'est une question de culture, je ne sais pas, mais en Angleterre, vous êtes des guerriers. Tu regardes Liverpool, Carragher gagne le ballon et l'envoie dans les tribunes, et les fans applaudissent. Il y a un rugissement ! On n'applaudirait jamais ça, ici.

La semaine prochaine, vous jouez de nouveau contre Arsenal en 1/8 de finale de Ligue des Champions. Sont-ils différents ? Une espèce de Barcelone-light ?

Arsenal est une grande équipe. Quand je regarde Arsenal, je vois le Barça. Je vois Cesc porter le jeu, Nasri, Arshavin. La différence entre eux et nous, c'est que nous avons plus de joueurs qui pensent avant de jouer, plus rapidement. L'éducation est la clé. Nos joueurs sont ici depuis 10, 12 ans. Quand vous arrivez au Barça, la première chose qu'on vous apprend est : pense. Pense, pense, pense. Rapidement. [Xavi se met à bouger, regardant autour de lui] Lève la tête, bouge, vois, pense. Regarde avant de recevoir le ballon. Si tu reçois cette passe, vérifie si ce joueur est libre. Pum. Première intention. Regardez Busquets - le meilleur milieu de terrain qui joue à une touche. Il n'a pas besoin de plus. Il contrôle, regarde, et passe en une touche. Certains ont besoin de deux, trois touches, mais étant donné la vitesse du jeu, c'est trop lent. Alves, une touche. Iniesta, une touche. Messi, une touche. Piqué, une touche. Busi, moi, sept ou huit joueurs en une touche. Rapidement. En fait, Carles Rexach [Coach des jeunes] disait toujours : a mig toc. Une moitié de touche.

Un Arsenal-Barcelone amène toujours des questions sur l'avenir de Cesc Fábregas.

Si j'étais allé dans un autre club, j'aurais toujours pensé à Barcelone - le lien est fort. La même chose est en train de lui arriver. Mais maintenant, il y a un problème : maintenant, il est cher. Mais je pense qu'un footballeur finit par jouer là où il veut. Il doit finir par arriver ici.

Les fans d'Arsenal ne veulent pas en entendre parler, et ont accusé les joueurs du Barça, vous compris, de semer le trouble. L'été dernier, il y a eu tellement de remarques supposément issues de Barcelone...

Vraiment ? J'ai à peine parlé à l'époque. J'imagine bien qu'ils n'auraient pas apprécié. [Xavi s'interrompt, ajoutant doucement, presque avec gêne] Vous savez, souvent les footballeurs ne réfléchissent pas. On est égoïstes, on ne réalise pas. Je dis ça aussi parce que je pense à Cesc. Il veut venir ici. Barcelone a toujours été son rêve. Mais, bien sûr, il est capitaine d'Arsenal, un porte-drapeau, un leader. Cette situation est une putada [un emmerdement] pour lui. Il est dans un club qui joue son propre style, où Wenger l'a bien traité, lui a enseigné, l'a élevé. Cesc le respecte. S'il avait été, disons, à Blackburn, ça aurait été plus facile de partir. Écoutez, la vérité est la suivante : je veux qu'il vienne ici. Bien sûr. Barcelone a un style de jeu bien défini, et très peu de footballeurs y correspondent. Ce n'est pas facile. Mais Cesc s'y intègre parfaitement.

Ceci dit, est-ce qu'il vous remplacerait ?

Je ne vois pas les nouveaux joueurs comme une menace ; je ne dis pas "voilà ma rustine". Je suis plus du genre : "amène-les ici, fais-les jouer". Plus y a de talent au milieu, mieux c'est. Il y a quatre ou cinq ans, les gens disaient qu'Iniesta et moi ne pourrions pas jouer ensemble. On ne peut pas jouer ensemble ? Regardez maintenant ce que ça a donné.

L'année passée, vous avez battu Arsenal facilement...

Oui, mais cette année ils sont bien meilleurs. Je pense que ça nous désavantage de les avoir joués l'an passé. Ils avaient (trop) de respect pour nous. C'était comme s'ils nous avaient laissé le ballon ; on l'avait toujours, à la maison comme chez eux. Le match à Londres aurait pu donner 4-0, tant nous avions dominé - mais il s'est terminé en 2-2. Cette année, ce sera différent.

Quelle a été votre réaction après le tirage au sort ?

J'étais content. J'aime l'idée que nous verrons une belle rencontre. Arsenal n'est pas le genre d'équipe qui essaye de vous putear [vous emmerder, casser le jeu, tuer le match]. Si ça avait été Chelsea, on pourrait penser Madre mia, ils vont te laisser l'initiative, attendre très bas, se rapprocher, et jouer le contre avec Drogba et Malouda. Mais, non, je pense qu'Arsenal voudra le ballon. Il y aura plus de jeu. Si j'étais fan, j'achèterais certainement un billet pour voir ce match. Manchester United ou Chelsea joueraient de manière plus calculatrice. Ils nous laisseraient la balle. Pas Arsenal.

Le football anglais vous attire-t-il ? Les joueurs espagnols le quittent toujours en râlant à son propos.

C'est difficile à croire. Una pasada. Maintenant c'est le football. L'Angleterre est vraiment le lieu de naissance, le coeur, et l'âme du football. Si Barcelone avait les fans de Liverpool, ou d'Arsenal, ou de United, nous aurions gagné 20 Ligues des champions, hahaha! OK, c'est une caricature, mais je n'ai jamais rien vu de semblable. On a une fois gagné 3-1 à Liverpool, et on a tous été applaudis sur le terrain. En Angleterre, les footballeurs sont plus respectés, le jeu est plus noble, il y a moins de triche. Tout Espagnol qui s'y rend l'adore - et revient meilleur joueur. Si j'avais quitté le Barça, ça aurait été pour l'Angleterre.

La finale [de Ligue des Champions] est à Wembley, ce qui la rend encore plus spéciale pour le Barça, n'est-ce pas ? L'année passée, c'était particulier car elle se jouait à Bernabéu, mais Wembley est le théâtre de la victoire de la Dream Team en Coupe d'Europe. Et ça doit faire un an que vous êtes constamment comparés à eux...

En 1992, j'avais 12 ans et mes frères y sont allés, mais mes parents ne voulaient pas que je les accompagne. J'étais en larmes, mais ça n'a fait aucune différence. J'adorerais jouer à Wembley. C'est spécial pour le Barça - et pour tout le monde dans le football. L'année dernière, c'était plus morbosa [à propos de la rivalité avec Madrid, presque malsaine, affriolante]. Cette année, c'est plus nostalgique, plus classique. Et je suis quelqu'un de nostalgique. Moi ? Je suis un romantique.

 

Avec la contribution active de thomson555. 


Source: The Guardian

Posté par Wedge
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