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En Une | Cruyff | lundi 28 mars 2016 à 14:20
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Hommage à une vraie légende, parce qu'un génie ne part jamais sans rien laisser.
En début d'année, tu disais que tu menais 2-0 à la mi-temps de ton match face au cancer. Mais la mort c'est un peu comme l'Allemagne dans le football, elle gagne toujours à la fin.
Tu étais un ovni à l'époque. Sur et en dehors des terrains. Avec ta dégaine de rockstar et ton attitude de rebelle, tu étais le porte-drapeau de la révolution ajacide. Une vitesse folle combinée à une qualité technique par rapport à laquelle beaucoup de "grands joueurs" actuels (la baisse de l'exigence ou l'ignorance sûrement...) passeraient pour des bourrins. Où tu jouais ? 9 ? Neuf et demi ? Ailier ? Meneur de jeu ? Rien de tout ça, tu étais juste libre à une époque où chaque joueur devait tenir son poste et ne pas s'aventurer ailleurs. Et comme tu étais différent, tu as choisi le numéro 14 pour encore plus brouiller les pistes. Ton équipe à toi préférait elle aller partout et nulle part, avec comme chef d'orchestre un génie qui se permettait de résoudre les matchs par son talent et en plus par son intelligence tactique. On dit souvent que Rinus Michels a inventé le football total, mais il a lui-même raconté que tu l'aidais beaucoup pour imposer cette révolution.
Le Cruyff qui éliminait, passait et dirigeait, c'est le Cruyff que l'on a vu dans le stade, à la télé, en VHS ou sur Youtube selon les différentes générations. Moi je t'ai connu via les K7, entre ton dribble "360°", ton doublé face à l'Inter, l'acrobatie contre l'Atlético, ce rush en finale de Coupe du Monde ou encore le fameux pénalty à deux avec l'Ajax. Je voyais un génie marcher sur l'eau, et plus tard j'ai compris pourquoi le Barça avait une dette envers toi.
En tant que joueur, tu as remis le football au centre du débat. Victoire ou défaite, peu importe, le football restait le roi. Tu avais ton petit caractère que certains appelleront "arrogance" (entre melons, tu es juste sûr de toi), mais à la fin tu avais toujours raison. C'est pour ça que ta finale perdue en 74 (ton autre grande défaite) ne peut pas être perçue comme la défaite d'un magnifique loser. Ce jour-là ton équipe a gagné autre chose qu'une étoile : la reconnaissance éternelle. Dans un football actuel où l'on veut imposer les chiffres et le résultat brut, ta disparition rappelle à quel point on peut marquer l'histoire du football sans forcément soulever un trophée.
Comme tu étais déjà un entraîneur sur le terrain, la suite était logique. Les immenses joueurs n'ont pas réussi sur le banc, parce qu'ils n'ont finalement jamais eu la vocation de coach. Trop compliqué pour une légende d'expliquer à ses joueurs ce que lui voit naturellement. Mais pas toi, parce que tu exercais déjà sur les prés. Alors, après avoir débuté dans ton club de toujours, tu es revenu dans ton club d'adoption. Celui que tu avais choisi en tant que joueur pour mieux remballer le rival de la capitale, qui t'offrait pourtant plus de garanties niveau succès. Mais il fallait que tu ailles là où le peuple ne se sentait pas libre. Tel un sauveur, tu es revenu instaurer ta vision du football, de la formation aux entrainements, et bien sûr, le style de jeu. Ce style si singulier qui n'est en fin de compte que la version la plus pure du football. Depuis, ce club peu optimiste qui peinait à retrouver son lustre d'antan devient le club référence pour le jeu, tout en empilant les trophées. Tout en étant à la retraite, tu glisses un ou deux conseils, un ou deux noms (Rijkaard, Guardiola) pour relancer le club.
Quand tes successeurs ont gagné des titres, ton nom n'est jamais bien loin. Quand Rijkaard, Guardiola puis Luis Enrique soulèvent la C1, tout le monde sait que c'est aussi ta victoire. Quand le Barça présente la meilleure équipe de son histoire, et terrasse son ennemi en sortant un chef-d’œuvre footballistique le jour de son 111ème anniversaire (29 novembre 2010), Guardiola te remercie en conférence d'après-match en rappelant que c'est grâce à toi que le club en est là aujourd'hui. Encore un pied de nez à la dictature du chiffre et du résultat brut : l'héritage.
Tu n'as pas fondé le Barça comme Gamper. Tu n'as pas une statue devant le Camp Nou comme Kubala. Tu n'as pas été formé à la Masia comme Puyol ou Iniesta. Tu n'as pas joué autant de matchs que Xavi et tu n'as pas marqué autant que Messi. Sur le banc tu as moins gagné que Guardiola.
Et pourtant, tu as changé le destin de ce club. Pourtant, tu as compris avant tout le monde que le football n'était pas une affaire de taille, de muscles ou de stars à empiler sur la feuille de match. Que le football c'était juste foot et ball, que jouer pour gagner était largement envisageable et que ça pouvait durer. Si le style a retrouvé son importance dans ce sport, tu n'y es pas étranger. Et remettre le football au centre du village, c'est aussi afficher son soutien à son pays d'adoption face à son pays d'origine comme tu l'as fait en 2010. Non pas parce que tu te sens plus espagnol, mais parce que la Roja joue et les tiens déjouent. Remettre le football au centre du village c'est rappeler que le football n'a pas de race, de religion ou de couleur de peau. Le football est, avant une affaire nationale, une histoire de sentiment.
Alors Maradona est peut-être le meilleur, Pelé a gagné 3 coupes du monde, mais toi tu as juste révolutionné le football et imposé ta patte par deux fois dans deux rôles différents. Marquer les esprits et laisser un héritage, ça vaut certainement plus qu'un trophée.
Les mots ont un sens, mais un merci aurait pu suffire. Alors, fallait que je te dise merci. Merci pour le Barça, pour le football, merci. Tu ne seras plus là pour distribuer les punchlines ou donner quelques leçons qui se confirment avec le temps, mais sache que lorsqu'Iniesta soulèvera un trophée, il le soulèvera avec toi. Sache que lorsqu'une équipe sera louée pour son style de jeu, tu ne seras jamais très loin. Sache que lorsqu'un jeune débutant sur le banc se demandera comment prôner le jeu, c'est vers toi qu'il se tournera. On peut pleurer ton départ, mais on ne peut que se réjouir des bases que tu as posées et de tes disciples que tu as influencés. Le football a perdu une légende, mais le football a toutes les armes en main pour continuer à briller. Parce que tu as décidé de donner, de partager. Parce qu'un génie ne part jamais sans rien laisser.
Descansa en paz.
D'un mythe à un autre, TS.
Posté par Tele-Santana
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