Array La belle et la bête - FC Barcelona Clan

Chronique | El Soci Opina | jeudi 30 avril 2009 à 17:43  | Ajouter aux favoris / Partager  | Email

Depuis 4 ans, merengues et blaugranas ont pris des chemins divergents en terme de philosophie de jeu. Pourtant, les deux clubs se sont partagés les 4 derniers titres de champion. Explications avant un Clasico décisif.

Le parfum de la dame en blanc.

Quel est donc ce doux parfum qui flotte au dessus du stade olympique de Barcelone ce 17 mars 2004 ? Aucun publicitaire ne s’étant hasardé à lui donner un nom, je m’investis pleinement de cette mission avec tout le risque de flop que cela comporte. Flop ? Pas très vendeur comme nom, mais c’est ce qui me vient à l’esprit quand j’analyse la situation avec du recul. Mais plaçons-nous dans le contexte de l’époque où le footballeur modèle sentait l’eau de toilette plutôt que la transpiration, au point où un Freddy Ljungberg ait plus marqué les esprits en slip qu’en short. Cette époque où le canon de virilité est blond, anglais ( !) et plus métrosexuel dans sa Maserati que moi qui ne sort pas sans ma carte orange. J’ai pensé au « Mâle », bien évocateur de cette néo-virilité chère aux publicitaires dont j’aspire à faire partie le temps d’un article, mais c’était déjà pris par Jean-Paul Gaultier, et celui-ci n’est pas du type à se faire doubler quand il s’agit d’effacer les frontières entre les genres. Non, trouvons quelque chose de plus en phase avec le contexte, ce contexte où le footballeur est déifié, élevé au rang de sauveur ou de super-héros comme peuvent l’être des Batman, Spiderman ou Superman. Megaloman, avec un slogan tout trouvé : « la folie des grandeurs ? » Mouais. Heureusement que je ne suis point publicitaire…

La mégalomanie trouverait ses sources dans l’enfance. Bercé par les souvenirs de la formidable cylindrée qui cannibalisa le football européen un demi-siècle plus tôt, Florentino Perez avait rêvé de refaire de Chamartin le sanctuaire du beau. Et de beauté, il y en avait dans le toucher de balle si délicat de Zinedine Zidane qui, cinquante ans après Di Stefano, a ressuscité le mythe du divin chauve ; il y en avait dans le minois de David Beckham qui, en dépit d’un talent véritable et d’un professionnalisme à toute épreuve, était réduit à un objet marketing contraint d’occuper un poste qui n’était pas le sien. Il y en avait surtout dans cette folle idée qu’on pouvait défier les lois du football moderne en incorporant de saison en saison un footballeur spectaculaire, comprenez par là offensif et médiatique, à son équipe-type tout en se targuant de gagner au minimum un titre majeur. Mais cela ne contentait guère le sieur Florentino. Il en voulait plus. Et plus, c’était le triplé Copa– Liga – C1, véritable hydre à trois têtes insurmontable pour les clubs espagnols tant s’attaquer à l’une des têtes accentue le risque de se faire dévorer par l’une des deux autres. Et en ce 17 mars 2004, le Real Madrid avait l’occasion de grimper la plus accessible des trois marches conduisant à la gloire. Il affirmerait sa suprématie sur la péninsule en territoire barcelonais, au nez et à la barbe de son rival de toujours condamné à contempler le spectacle avec impuissance.

Barça-real

Que s’est-il passé pour que ce soit aujourd’hui le F.C. Barcelone qui ait le privilège de rêver de triplé, pour que ce soit lui qui ait l’apanage du beau jeu et des beaux acteurs du jeu (indépendamment de toute considération physique prompte à déclencher l’hystérie des tabloïds) ? Beaucoup de choses en quatre ans, à commencer par l’effondrement du colosse au pied d’argile créé par Florentino Perez, terrassé par Luciano Galletti le 17 mars 2004, tombé de haut quelques jours plus tard face à l’AS Monaco emmené par un Fernando Morientes revanchard, lui la victime la plus illustre de la « galactisation » du Real Madrid, mettant un terme à sa saison en championnat de manière extrêmement laborieuse jusqu’à se faire déloger de la deuxième place par un F.C. Barcelone qui comptait pourtant un retard que l’on pensait incompressible. Beaucoup de choses qui firent à nouveau du Camp Nou le théâtre du beau football, s’y succédant les partitions d’un collectif harmonieux et d’individualités brillantes, au point que le ballon d’or 2005 semble en cacher un autre. Dans le même temps, Santiago Bernabeu ne s’est jamais autant ennuyé pendant que ses vedettes quittaient le navire tour à tour. Les signes de la stabilité à Barcelone, qui n’aura connu qu’un président et deux entraîneurs durant ce laps de temps, les signes de la crise permanente à Madrid qui écume plus d’un entraîneur en moyenne chaque saison et élira un troisième président – sans compter les intérimaires - dans quelques semaines… sans doute Florentino Perez, comme un cri du cœur des socios au retour d’une époque qu’ils ont eux-mêmes révoqué. Et pourtant…

Deux Ligas partout, balle au centre.

On a coutume de dire qu’en football seule la victoire est belle. On peut penser ce que l’on veut de cet adage, mais lorsqu’on analyse de manière brute les résultats des quatre dernières saisons, les deux ogres du football espagnol se sont partagé les titres domestiques de manière équitable. Le Real a de surcroît toujours fini au moins dauphin, ce qui ne fut pas le cas du Barça, troisième de la Liga en 2008. En ce qui concerne les confrontations directes, avantage au Real qui a remporté 4 clasicos contre 3 pour le Barça et 2 matchs nuls. Il apparaît clairement que l’écart en termes de résultat sur le plan domestique entre les deux clubs est moindre que l’écart en termes de jeu. Le Real dispose-t-il de ressources qui lui permettent de gagner dans la durée sans briller, chose dont le Barça ne peut se permettre ?

clasico

L’histoire récente a tendance à aller dans ce sens. Les deux fois où il a remporté la C1, le Barça avait déployé un grand football et avait également triomphé en Liga. Le Real de 2000, bien que poussif en championnat où il n’a terminé que cinquième, a pu soulever la coupe aux grandes oreilles en sachant se révolter à Old Trafford ou lors de la finale à Saint-Denis. D’ailleurs, lors de leurs trois derniers triomphes européens, les merengues n’ont jamais réalisé le doublé et il n’y a peut-être qu’en 2002 où l’équipe pratiquait un football attrayant. La situation actuelle est néanmoins différente dans le sens où c’est par la Liga que le Real arrive à exister, soit la compétition qui en théorie exige une certaine régularité dans les résultats et non une régularité dans la médiocrité.

Juanito contre Saint-Jordi : le choc des esprits.

Car c’est de cela qu'il s’agit. Depuis quatre ans, le Real Madrid a un fond de jeu indigne de son rang. La circulation de balle est assez quelconque, relativement directe, avec des difficultés à écarter le jeu latéralement. Les individualités suffisent le plus souvent à faire la différence, mais le Real ne peut plus se contenter d’être réaliste, surtout quand on voit ce qui se fait chez le rival. Que ce soit dans le pressing, la capacité à créer et à trouver des solutions ou dans le talent de ses individualités, le Barça a un fond de jeu sensiblement supérieur.

En réalité, on peut distinguer deux périodes distinctes pour résumer la situation. La première (2004-2006) où le Real était une équipe vieillissante, déséquilibré et minée par des querelles intestines et où elle ne pouvait plus produire du beau jeu, quand dans le même moment le Barça séduisait par sa fougue, son football léché et sa soif de titres et de reconnaissance. Si un match symbolise bien cette époque, c’est évidemment celui du 19 novembre 2005 où un Barça époustouflant emmené par un Ronaldinho de gala humilie son rival chez lui (0-3), jusqu’à susciter les applaudissements de Bernabeu.

 

La seconde période commence avec le retour aux affaires de Capello en 2006. A partir de là, c’est bien la philosophie du Real Madrid qui est remise en cause. Ce n’est pas que le Real ne peut plus produire du beau jeu, c’est qu’il ne veut plus le faire parce que ça ne semble pas être la volonté de tous. Vaincre sans convaincre, deux entraîneurs ont succédé au technicien italien et aucun n’a voulu en remettre en cause la doctrine Capello. C’est pourtant l’exigence de spectacle qui a, officiellement, couté à ce dernier son poste. Dans le même temps, le Barça n’a pas su profiter du grand remue-ménage qui agite la Maison Blanche, entre autres parce que le modèle des galactique et ses problèmes lui a été transposé sous l’appellation de « fantastiques ».

Plus que la double humiliation de l’année dernière (haie d’honneur et défaite 4-1), qu’on peut tout aussi bien imputer à une défaillance sportive qu’aux conséquences d’une élimination en ligue des champions trois jours plus tôt, le match qui symbolise la passation de pouvoir en Liga reste la victoire du Real Madrid au Camp Nou grâce à un but de sa bête Julio Baptista. Sans être forcément plus talentueux, car même quand le Barça tournait mal il s’attelait à conserver une certaine idée du football qui passait par de hauts standards techniques et une grande conservation du ballon, les madrilènes ont paru tellement plus confiants et sûrs de leurs forces que cela s’est apparenté à une forme de maîtrise. D’où ont-ils puisé de telles qualités ? Très probablement du vécu qu’a eu ce groupe tiré de la saison précédente quand, dans la dernière ligne droite, ils sortent vainqueurs du duel à trois qui les opposent à Barcelone et à Séville pour la conquête de la Liga. Ni un Leo Messi des grands soirs, auteur d’un triplé lors d’un clasico qui a permit à son équipe de maintenir l’adversaire direct à distance, et grâce à qui le nul (3-3) fut salué à l’époque comme une victoire en terre catalane, ni de nombreuses scénarii a priori insurmontables, n’ont empêché les madrilènes de remporter le titre à l’avantage de la différence de buts particulières. A sa nomination, Capello avait déclaré vouloir « retrouver l’esprit perdu du maillot blanc », celui de Juanito. A défaut de leur avoir redonné un fond de jeu, le maître de Gorinzia leur a donc forgé un esprit.

pasillo

Le changement dans la continuité.

Quand Ramos a été nommé au chevet d’un Real malade quelques jours avant un clasico perdu (2-0), on ne pouvait se douter qu’il allait permettre au club merengue de sauver les meubles en Liga. Bien sûr cela est passé par une rigueur défensive retrouvée aux dépens d’une dose de folie qui se perd, bien sûr le changement tient avant tout dans les seuls résultats, toujours est-il que dès la fin de la trêve, le Real se remit à goûter à la victoire. A tel point que l’issue de la saison n’est pas encore jouée avant samedi alors que cette date avait été entourée par le public blaugrana qui rêvait qu’on lui rende son « pasillo ». D’un côté la belle qui a récupéré tous ses fondamentaux au point de devenir l’équipe la plus prolifique qu’ait connu le football moderne, de l’autre la bête blessée qui ne veut pas abdiquer, bien aidé il est vrai par un calendrier allégé lié à ses nouvelles désillusions dans les autres compétitions quand le Barça est encore en course pour tout gagner.

 

Au-delà du dénouement de cette saison, qui offrira à l’une ou à l’autre des deux équipes son troisième titre sur l’intervalle de temps qui nous intéresse, ce qu’on espère retenir de ces années est qu’il urge de rétablir des changements au sein de l’ogre madrilène, ne serait-ce que dans l’intérêt d’une Liga qui ne peut plus être le premier wagon de la Premier League. Le Real ne peut plus se contenter de dissimuler ses lacunes flagrantes par des victoires domestiques venues de nulle part, facilitées par des éliminations précoces en coupe d’Europe et par le respect qu’inspire le club à ses adversaires domestiques qui est de toute manière sur le point de voler en éclats, tout comme c’est déjà le cas en Europe où le club le plus titré sur la scène continentale n’effraie plus personne. Les abonnés de Bernabeu se lassent de ce triste spectacle et de cette instabilité constante. Du spectacle, il y a fort à parier qu’ils en verront samedi. Malheureusement pour eux, ce ne sera probablement pas l’équipe de leur cœur qui en sera le garant.


Posté par Kill Duckadam
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