Array Xavi et la pausa : le génie sans statistiques - FC Barcelona Clan

En Une | Xavi | vendredi 22 janvier 2016 à 23:17  | Ajouter aux favoris / Partager  | Email

Charles Mingus, célèbre musicien de jazz, raconte qu’il est un jour entré dans un bar pour y trouver un jeune homme jouant de la basse avec frénésie. « Non, on ne joue pas comme ça », lui dit Mingus. « Tu dois d’abord saluer la foule, t’introduire. On n’entre pas dans une salle en hurlant non ? C’est la même chose pour la musique.» Xavi Hernandez n'en pensait pas moins pour le football.

Enganche est un terme utilisé notamment en Argentine pour décrire un joueur qui opère entre la zone du milieu de terrain, et celle de l’attaque. Un joueur doté de grandes qualités techniques, enganche  – dont la meilleure traduction serait « le crochet » - qui a cette particularité de toujours choisir le meilleur moment pour lâcher sa passe. Ce joueur attend souvent que son partenaire soit au meilleur endroit possible sur le pré pour lui donner le ballon. Pausa.

Ricardo Bochini, grande idole de Diego Maradona, est reconnu par ses pairs comme étant le premier joueur à avoir appliqué la Pausa. Lui-même l’explique comme étant une intelligence footballistique supérieure, cette capacité de visualiser le mouvement de son coéquipier et même de prédire son comportement pour calculer quand et à quelle force donner le ballon. Cette technique nécessite aussi l’apport d’un coéquipier qui sache faire des appels rapides, ou des mouvements intelligents dans l’entre-jeu pour ouvrir des espaces. La combinaison d’un passeur maître de la Pausa et d’un coéquipier qui sait faire les bonnes décisions est nécessaire pour que le grand potentiel de cette technique soit maximisé.

Depuis Bochini, l’Argentine n’a cessé de produire des maîtres de la Pausa qui illuminèrent l’entrejeu de l’Albiceleste et de leurs clubs ; Maradona, Ortega, Aimar, Riquelme et Messi, tous excellèrent dans ce domaine.

Le meilleur représentant de cette technique reste cependant un Catalan du nom de Xavi Hernandez.

Xavi n’a jamais été un enganche dans le style purement argentin. Il commenca sa carrière comme un pivot devant la défense, et quand Rijkaard prit les rênes de l’équipe, Xavi monta d’un cran pour jouer dans la position à laquelle il est assimilié aujourd’hui, relayeur (interior pour les intimes) dans le 4-3-3. Sa particularité est que, sans être l’enganche traditionnel, ses qualités techniques et son intelligence de jeu phénoménale font que la Pausa n’eut plus de secrets pour lui. Sans oublier que Xavi jouait au Barca, une équipe qui comprend parfaitement cette technique et en profite pleinement dans son entrejeu.

La Pausa s’exprime de manières différentes. Une d’entre elles est de contrôler le rythme du match. Et c’est d’abord en cela que Xavi se démarque des enganche argentins, il joue plus bas, et le tempo du match n’a aucun secret pour lui ; il le dirige comme personne. Le Clasico d’avril 2010 au Santiago Bernabeu illustre bien cette facette du jeu de la Maquina. Quand le Real Madrid reprenait le ballon, c’était après de longues phases de possession catalane. Le Real Madrid se retrouvait donc à jouer de manière précipitée, comme si le fait de retoucher au cuir après un trop long moment lui faisait perdre la raison. Xavi, le meilleur pour lire un match, put donc profiter de cette frustration madrilène pour faire parler la Pausa ; il ne joua pas de passe vers l’avant dès que le Barca arrivait à reprendre le cuir. Il ralentit le tempo du match, le temps de frustrer encore plus l'adversaire, avant de lancer une attaque et d'accélerer le rythme. Les deux buts du Barca ce soir-là furent typiquement dans cet esprit, surtout celui de Pedro. La passe de Xavi sur ce but fut justement précédée d’une magnifique Pausa, le temps de laisser Pedro s’avancer juste assez pour laisser Arbeloa derrière au moment de recevoir la passe.

Voici quelques images pour mieux visualiser le travail de Xavi :

Sur cette première image, Xavi vient de recevoir le ballon, et il avance lentement dans l'espace devant lui tout en analysant les options qui se présentent à lui. Il y a Alves en retrait à droite, si Xavi cherche à temporiser, et il y a Pedro, qui n'est pas encore dans un appel, mais qui bouge en ce sens. Pedro commence ici par revenir dans l'axe, vers Xavi pour lui offrir une option de passe. Et c'est là que la communication devient essentielle pour que l'action de jeu initiée par la Pausa se réalise.

Xavi a finalement décidé de ne pas utiliser les options de passes qui lui sont offertes, et garde le cuir. C'est un message envoyé à Pedro qui, après avoir offert l'option la plus évidente en s'approchant de lui, comprend ce que cherche Xavi et fait son contre-appel. Arbeloa, comme le reste de la défense madrilène, a beaucoup de difficulté à suivre, et on le voit à son positionnement.

Tout ce que veut dire le terme Pausa est sur cette troisième image. Une fois que le message est passé, et que Pedro est au début de son contre-appel, Xavi patiente, il prend une "pause". Il attend que son coéquipier soit exactement au bon endroit, au bon moment pour lâcher la passe, une passe qui, précédée de cette petite "pause", sera impossible à arrêter, tout simplement parce que l'adversaire n'arrive plus à suivre la communication entre les deux coéquipiers. Sur cette image, on observe un Arbeloa qui hésite, pas bien sur ses appuis, mais surtout...un Marcelo qui ne cherche plus à épauler son coéquipier, parce qu'il croit que Xavi ne fera pas la passe. La Pausa, c'est aussi l'art de tromper ses adversaires en étant pratiquemment immobile. C'est cette passe qui ne se fait que quand l'adversaire est fixé, incapable de réagir.

C'est seulement sur cette quatrième image que la passe est donnée. Arbeloa ne peut plus suivre, puisqu'il a perdu les appuis nécessaires pour suivre Pedro à cause de son hésitation. Marcelo est quant à lui totalement hors-sujet, il donne son dos à Pedro et il ne peut plus intervenir. La Pausa de Xavi a créé cette occasion de but, mais ce n'est pas une simple "passe décisive", tout le travail qui précède la passe est plus intéressant à étudier, parce qu'il nous en apprend beaucoup sur l'intelligence de jeu phénoménale de la Maquina. Sa passe est délivrée après un échange silencieux entre lui et son coéquipier, et des adversaires totalement trompées par l'attitude de Pelopo avant sa passe. 

Trop tard pour l'adversaire. Pedro recoit la passe parfaite et peut aller affronter Casillas. Deuxième but du Barca.

Xavi domine l’entrejeu. Il crée le surnombre dans cette zone avant de provoquer le changement de rythme en lancant l’attaque. Il contrôle le cuir à la perfection, c’est un de ces joueurs qui sont sereins dans toutes les situations, parce qu’ils jouent le même football depuis qu’ils sont enfants ; dans des espaces restreints, des situations difficiles, à la recherche d'espaces. Une de ses plus grandes qualités, et elle est visible dans les images qui suivent ce paragraphe, est qu’il utilise le ballon pour provoquer son adversaire, le pousser à bouger. Sans dribbler, Xavi crée des espaces monstres. Attirer l’adversaire crée effectivement un espace, espace dans lequel un coéquipier aura souvent l’idée de s’infiltrer, pour recevoir une passe de Xavi. Le but expliqué ci-haut le démontre, mais Xavi n'applique pas ce précepte seulement pour créer une occasion de but, il l'applique pour créer tous les espaces ; au milieu, sur les côtés, pour relancer...tout le temps, le temps, l'entente et l'espace sont utilisés à la perfection pour fixer l'adversaire et le neutraliser. C'est ce qui fait un maître de la Roja différent de l'enganche traditionnel ; la fréquence de son application du concept.

Sur les images qui suivent, nous observerons la manière avec laquelle Xavi déconstruit le positionnement tactique des adversaires en les incitant à sortir, en les attirant vers lui : 

Xavi recoit le ballon de Busquets. Avant de le recevoir, on pouvait observer la Maquina regarder ce qui se passe autour de lui, avec cette facon devenue célèbre de tourner la tête pour bien visualiser le terrain. Xabi Alonso se trouve entre les lignes, et toute l'action qui suivra cette passe de Busquets concernera un Xavi qui cherche à trouver le Basque, qui est son coéquipier le plus dangeureux pour l'adversaire par rapport à son positionnement. Pour ce, Xavi doit briser la ligne de milieux française, et il le fera de manière très simple ; avec la Pausa. Il applique le concept argentin parce que seul, Xabi Alonso ne pourra rien faire du cuir. Il faut donc qu'un coéquipier l'accompagne, et dans ce cas-ci, Xavi attend qu'Iniesta soit bien placé entre les lignes pour lancer la passe. La Pausa lui permettra de faire d'une pierre deux coups, donner le temps qu'il faut à Iniesta pour qu'il soit bien placé et briser la ligne qui se dresse de milieux qui se dresse devant Xavi.

Par rapport à la première image, le positionnement de Xavi ne change presque pas. C'est celui de Pogba qui est intéressant. Beaucoup plus proche de Xavi, le jeune milieu français n'a pas pu resister à l'envie de sortir au pressing d'un Xavi qui le provoque balle au pied. En étant pratiquemment immobile, Pelopo attire ses adversaires, et provoque l'espace derrière leurs dos. Iniesta comprend le message de Xavi et ira se placer entre les lignes pour épauler Xabi Alonso.

Pogba s'approche toujours un peu plus de Xavi, et le Barcelonais le provoque encore plus en posant la semelle sur le ballon. Tout ce que cherche à faire Xavi fonctionne assez bien pour le moment, sauf que son coéquipier Basque ne suit pas l'action correctement et se déplace de la mauvaise façon. Il coupe l'angle de passe que Xavi cherchait à exploiter, et rend donc le travail de la Maquina pour détruire la ligne de milieux adverse obsolète. Il va falloir recommencer, et c'est bien là la preuve de l'importance de la communication entre les coéquipiers lors d'un match. Plus que tout, c'est ce qui fait la différence.

Xavi a totalement effacé Pogba. Seulement, l'action n'aboutira pas comme le voulait la Maquina, parce que le Basque est introuvable entre les lignes. Ni Xavi ni Busquets ne peuvent l'atteindre, il faut donc chercher une nouvelle faille. Et, comme toujours, le ballon devra passer une nouvelle fois par les pieds de Xavi.

Ici, Busquets remet le ballon à son capitaine. La communication est meilleure entre Xabi Alonso et Xavi, et le Basque comprend, surement parce qu'il a vu Iniesta le rejoindre entre les lignes, qu'il doit se placer de façon à ce que Xavi puisse lui passer le ballon. 

Quant à Pogba, il comprend qu'il doit retourner au pressing de Xavi. La position de son corps sur l'image le montre clairement.

Le Basque et Iniesta sont exactement là où il faut. Xavi s'avance avec le ballon pour provoquer tout le milieu adverse. Pogba et ceux qui l'entourent son tous prêts à sortir sur Xavi, et le Barcelonais, en appliquant la Pausa, les poussent à le faire, pour qu'ils oublient les deux joueurs dans leurs dos.

Comme avec Arbeloa dans l'action précédente, quand Xavi lâche la passe, il est trop tard pour l'adversaire. La ligne est totalement brisée, et Xavi laisse Xabi, Iniesta et Villa à égalité numérique face aux défenseurs. Xavi ne joue pas seulement sur le terrain, il joue aussi dans la tête de ses adversaires. Il trompe les défenseurs comme personne, juste par son langage corporel, sa maîtrise du tempo, son intelligence du jeu et son entente avec ses coéquipiers.

Les deux images suivantes montrent la ligne du milieu français totalement abattue, incapable de répondre à la passe de Xavi : 

Iniesta suit le mouvement avec un appel croisé, et Xabi se prépare déjà à lui donner le ballon. Villa occupe quant à lui des défenseurs qui sentent déjà la difficulté de l'action à laquelle ils doivent faire façe suite au numéro de Xavi.

Iniesta et Villa sont à égalité numérique. L'occasion de but est créée. 

Le temps, l'espace et l'entente collective, ces trois éléments fondateurs du football, sont parfaitement maîtrisés et exprimés dans la Pausa. Et c'est ce qui fait la force de cette technique, elle maximise le potentiel collectif d'une équipe, tout en exploitant au maximum les failles adverses, puisqu'elle provoque l'adversaire et le pousse à sortir, à donner l'espace, à sortir de sa tâche tactique.

On dit qu'une passe est une passe dangeureuse si elle aboutit à une occasion de but. Mais est-ce vraiment le cas ? Le danger vient-il toujours de la passe en soi, ou de son destinataire qui l'exploite pour créer le danger ? La passe "décisive" n'a finalement de valeur que si celui qui la recoit la transforme en but, et sa cousine la passe "clé", n'en a que si celui qui la reçoit décide de frapper au but. C'est au final l'utilisation du joueur qui recoit la passe qui fait la différence, c'est en cela que se trouve la "décisivité" de l'action, et non pas dans la passe en elle-même.

Xavi n'a pas été, sur la durée de sa carrière en tout cas, un joueur aux statistiques folles. Son total de passes "décisives", bien qu'honnête, n'est pas réellement impressionant. Pourtant, on a bien vu dans les exemples précédents que les passes délivrées par ce joueur, toujours dans le bon temps, toujours pour exploiter au maximum les erreurs adverses et pour placer ses coéquipiers dans les meilleures conditions sont bien plus décisives que la passe comptabilisée qui précède un but. Effectivement, les passes de Xavi, pour le poids qu'elles ont dans la suite des actions, sont des passes réellement "décisives"...même si elles ne se traduisent jamais statistiquement.

La passe d'un roi de la Pausa comme Xavi est souvent plus dangeureuse que ce qu'en fera celui qui la recoit. Un dernier exemple pour l'illustrer : 

La situation initiale ressemble à toutes les précédentes. Xavi recoit un ballon, il fait face au jeu et calcule toutes les options qui se présentent à lui. Il a visiblement opté pour le côté droit du terrain, et devant lui, il y a Alves, Busquets en retrait, mais surtout un Messi seul dans un espace assez large qui le sépare du marquage de son latéral. Messi étant le meilleur joueur du monde, il est évident que dans une situation aussi favorable, Xavi optera pour lui. Seulement, tout meilleur joueur du monde qu'il est, Messi a aussi besoin qu'on le mette dans de bonnes conditions, et c'est là qu'intervient Xavi. Il ne se précipitera pas pour lui donner le ballon. Pausa.

L'image précédente montre un Messi fixe, qui aurait à affronter son adversaire si jamais le ballon lui atterissait dans les pieds. Si Xavi avait fait la passe à ce moment là, elle n'aurait rien de décisif, même si sur un exploit Messi réussissait à marquer. Or Xavi cherchera à profiter des erreurs adverses pour mettre Messi dans les meilleures conditions, et sa passe devient ainsi "décisive". L'image montre ici que le latéral au marquage de Messi est trompé par le mouvement de Messi vers Xavi (similaire au premier mouvement de Pedro plus haut), et surtout par l'absence de réaction de Xavi. Impossible à ses yeux de laisser Messi toucher le ballon sans réagir, le latéral doit le suivre, et il libère de la sorte l'espace dans son dos.

Exactement ce que cherchait Xavi, et ce que Messi a compris aussi.

Contre-appel de Messi, et c'est exactement à ce moment là que Xavi déclenche la passe. Le latéral ne peut plus rien, et les milieux qui pourraient couper la passe sont totalement aspirés par la Pausa du milieu barcelonais, ils n'ont plus assez de marge pour réagir à temps. L'espace entre le latéral au marquage de Messi et le défenseur central est beaucoup plus grand que celui de la première image, et c'est dû au travail de Xavi. 

Sur le direct, le spectateur à l'impression que Xavi n'a rien fait d'autre que passer le ballon. La création d'espace du joueur est telle, que sans dribbler, sans combiner, mais simplement en s'arrêtant le temps de faire passer son message et de troubler l'adversaire par son comportement, il crée un espace monstre. Cette passe là est bel et bien "décisive".

Messi recoit le ballon à l'entrée de la surface, à droite et en étant lancé. Il n'y a pas meilleure condition pour un gaucher comme lui. Il trompera le gardien avec délicatesse, et ramènera le Barça à égalité.

Mingus disait que la pause permettait de mieux jouer, et Menotti a souvent comparé le football à une musique, jouée par 22 musiciens pendant 90 minutes. Si ces deux hommes avaient raison, alors Xavi, plus qu'un musicien parmi d'autres, est le véritable chef d'orchestre du football.

Il amenait harmonie au jeu.

Xavi, le roi de la Pausa.


Source: http://allasfcb.blogspot.com

Posté par Ayoubaoui
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