Array Etre le patron du match, du rythme, de l’attaque - FC Barcelona Clan

En Une | Liga | mercredi 2 mars 2016 à 17:33  | Ajouter aux favoris / Partager  | Email

Menotti, Rinus Michels, Marcelo Bielsa, Johan Cruijff, Pep Guardiola, Telê Santana, ils sont nombreux finalement à apprécier le football comme "un déséquilibre permanent que l'on essaie de garder sous contrôle". Le portrait de Paco Jeméz renseigne sur les convictions de l'entraîneur du Rayo Vallecano, club de quartier et adversaire des Catalans demain.

Álex Gálvez, ancien défenseur central du Rayo Vallecano, avait accordé une interview à Eurosport il y a deux ans et y a évoqué son entraîneur.

Le Rayo Vallecano est l’une des équipes les plus populaires d´Espagne. Notre philosophie est simple et sans compromis : on joue l'attaque à fond. Il faut jouer au sol, très peu dans les airs et avoir le ballon le plus possible (le Rayo Vallecano est l’équipe avec le plus de possession de balle Europe derrière le FC Barcelone et le Bayern Munich, ndlr). Le coach veut que nous jouions au football dans n’importe quelle zone du terrain. Il n’a peur de rien et quitte à perdre, il veut le faire avec ses idées. (Il y a 2 ans) contre le Real, on perd 3-0 mais au lieu de verrouiller pour éviter de se prendre une valise, ce que beaucoup auraient fait, on est passé à trois derrière, deux au milieu et... cinq devant. On revient à 2-3, Diego Lopez en sort une sur le poteau, on y a  cru. On a donné du bonheur à Vallecas. Que c’était bon ! Alors oui, on est relégable, les gens vont peut-être sourire en lisant ça. Mais on va se sauver, j’en suis persuadé. Notre classement est une injustice.

Notre coach Paco Jeméz est un malade de football. Il respire le jeu et veut à tout prix éviter la routine. Regardez, l’autre jour on s’est entraînés à 23 heures ! Il y a un énorme respect par rapport au "Mister". Il souffre par rapport au classement, ça se voit, et on se doit de lui renvoyer l’ascenseur. À n’importe quel moment, chaque membre de l’équipe sera disponible pour lui. Sur le terrain, Paco veut que nous fassions appel à notre intelligence : de derrière, on doit sortir le ballon proprement, soit avec les milieux de terrain ou les latéraux. La dernière option est de "balancer" et espérer un rebond. Le jeu des défenseurs centraux est important : si je vois une faille, je fonce. En même temps, ma responsabilité est immense dans ce dispositif. Mais pour un jeune, c’est formidable : j’apprends tellement !

L'entraîneur espagnol, ancien défenseur international espagnol de génération de Josep Guardiola avec qui il a passé ses diplômes d'entraîneur, a accordé diverses interviews pour parler du football en Espagne, de Marcelo Bielsa, de son Rayo Vallecano et surtout de sa vision du football. 

Dans le football de haut niveau, il est difficile de croiser quelqu’un qui va s’emporter parce que tu n’as pas bien joué, si le résultat est positif. Mal jouer et gagner paraît acceptable. Moi je n’aime pas cette idée. Je veux que mon équipe gagne en l’ayant mérité, et cela passe par le fait d’appliquer ce que nous répétons à l’entraînement. (…)

La possession en tant que telle ne sert pas à grand-chose si elle n’est pas accompagnée de la pression, de mouvements, d’ordre et de désordre. Les équipes qui veulent le ballon font un pressing rapide. Elles veulent l’avoir et le récupérer, c’est la façon la plus simple de l’expliquer. L’autre aspect du jeu, c’est le travail sans ballon : jouer les uns proches des autres, être mal à l’aise après la perte de balle, aussi, ce qui signifie que tu dois l’avoir le plus souvent possible.

Mais le fait de tenir le ballon est le plus important pour moi, j’apprécie le jeu de passes et le fait de se sentir dominateur. Je considère que l’équipe qui possède le ballon se comporte comme le patron du match, du rythme, de l’attaque. Alors que tu te sens sur la défensive si tu t’en débarrasses rapidement. Qui plus est, tu te fatigues moins avec le ballon. Savoir gérer le rythme de la partie te donne plus de chances de gagner le match. Même s’il y a des équipes qui proposent une autre façon de jouer, qui dominent et qui gagnent. C’est ce qui fait la beauté du football. Mais moi, je veux que mon équipe domine, soit la patronne sur le terrain le plus longtemps possible, et quand elle n’a pas la possession, je veux qu’elle sache être humble et récupérer.

Je ne fais pas partie de ces entraîneurs qui aiment obliger leurs joueurs à faire des choses parce que ça doit être comme ça. Mais il y a des fois où cette méthode est la meilleure : on fait comme ça parce que je le demande. De manière générale, je préfère quand même convaincre les gens. Plus que les équipes, ce sont les entraîneurs qu’on évalue selon ses convictions. Si un jour on me licencie, on me licenciera, mais j’aurai au moins fait les choses comme je l’entends. Et aussi comme le veut le public. Je me souviens que lors de mes premiers matchs à Vallecas, les gens se prenaient la tête dans les mains. Bon, maintenant ce n’est plus le cas. (…) Nous avons passé la période d’adaptation et nous voyons les choses de la même façon que les gens dans les tribunes, ce qui fait qu’aujourd’hui, même quand on échoue, ils nous encouragent.

Ce que tu fais sur le terrain, tu le fais pour une bonne raison, et si tu ne le fais pas, ou mal, cela a des répercussions sur tout le monde. Si tu es convaincant, alors les joueurs oublient la peur d’échouer. Les changements, que je les réalise à la 7e, à la 10e ou la 90e, je ne les réalise jamais en raison d’une erreur individuelle. Je le fais parce que le joueur n’a pas respecté ce que j’avais demandé. Si tu n’agis pas conformément aux besoins de l’équipe, oui, tu sors. Je peux me tromper quand je convoque les joueurs, ou pour ma composition d’équipe, mais je n’ai pas le droit de me tromper en laissant sur le terrain quelqu’un qui n’est pas à sa place. (…) Je ne peux pas admettre qu’un joueur reste vingt minutes sans toucher le ballon, ou sans faire ce que je lui demande. On ne peut pas jouer à dix…

Le préparateur physique du Barça, Francisco Seirul·lo, a dit 'Si tu fais vingt passes, que tu arrives à mettre un but ou non, cela vaut toujours le coup parce que dix personnes en ont profité'. Paco est un ami, et il est dans un club qui évolue ainsi depuis des décennies. Quand une équipe a réalisé vingt passes, c’est que tout le monde a participé. Avoir cette participation collective, et qui s’achève par un but, c’est le genre d’objectifs vers lequel nous tendons.

Pour diffuser un message aussi risqué, il faut s’appuyer sur la confiance que tu transmets dans les moments difficiles. Si les gens voient que tu doutes, c’est à ce moment-là qu’apparaissent les failles. (…) Probablement que le moment le plus difficile a eu lieu l’an passé, parce que l’équipe jouait bien mais les résultats ne suivaient pas. Nous avons été derniers et la situation était assez tendue. Mais malgré tout, nous n’avons rien changé. Nous avons continué de procéder de la même manière, en essayant de travailler encore mieux pendant les entraînements. Nous savions que nous étions sur la bonne voie, mais nous nous y prenions mal. La presse, la direction et les supporters voyaient bien que nous continuions sur la même voie. C’est ce qui te donne de la crédibilité. C’est dans ces moments que tu marques des points, parce que quand c’est plus facile, il est aisé de continuer sur le même chemin. Ce qui est difficile, c’est de décider de ne rien changer quand ça se passe mal. (…)

Quand j’arrive pour la préparation, j’arrive avec des idées claires. Mais la période estivale est toujours difficile, parce que nous sommes un club qui perd chaque année des joueurs, ce qui est à la fois une préoccupation et un handicap. Tu commences la préparation et tu manques déjà de temps pour créer des automatismes avec les nouveaux joueurs. Cette année, nous avons eu dix-huit recrues. Tu as une équipe, mais chaque joueur a déjà été, pendant une année au moins, habitué à des schémas qu’on lui demande de changer ici. Et cela prend du temps. Plus tu as de joueurs nouveaux, plus tu as besoin de temps. (…)

Nous devons être courageux, avoir du caractère, ne pas craindre l’échec, être convaincus et avoir l’envie de s’amuser. Je déteste la médiocrité. Je n’aime pas les joueurs qui se planquent. Je préfère un joueur qui prend dix fois le couloir et propose un bon centre que celui qui ne le prend qu’une fois, même s’il fait un bon centre au final. Question de dynamique de groupe. Si l’équipe voit qu’un mec court, insiste, et tente mille fois un geste, cela entraîne tout le monde.

C’est sans doute pour le club que cela a été le plus difficile. Quand je suis arrivé ici, je savais précisément ce que je souhaitais faire, mais je ne sais pas si le président savait vraiment ce à quoi il s’exposait… Parce que nous avons passé des moments difficiles durant lesquels les dirigeants se regardaient et disaient : on va vraiment faire comme cela, on ne prend pas trop de risques ? Sans doute parce qu’ils avaient connu d’autres situations où le risque n’était pas aussi important. Mais au final ça s’est bien passé. Aujourd’hui par exemple, à l’entraînement, tout s’est bien déroulé, et je veux que cela se répercute sur le terrain, parce que le plaisir qu’on prend passe du terrain aux tribunes, et des tribunes au président ! On va bien sûr perdre des matches, mais il faut aussi prendre en compte le plaisir qu’on a retiré. Contre le Barça par exemple, nous n’avons pas pu gagner parce qu’ils sont bien plus forts, mais on a fait ce que nous avions à faire, nous avons eu des occasions, nous ne nous sommes pas reniés. Écoute, je gagne de l’argent, mais je ne suis pas devenu entraîneur pour cette raison. Par chance, ma vie de footballeur m’a permis de bien gagner ma vie, et je n’ai plus besoin de travailler uniquement pour l’argent. Bien sûr que j’aime en gagner, mais je crois surtout que cette profession te donne du prestige et de la reconnaissance comme aucune autre. (…)

C’est ce que je demande aux joueurs. La meilleure façon de respecter quelqu’un qui dépense son argent pour venir te voir, c’est de tout donner. Si les gens repartent du stade et qu’ils se sont amusés, alors nous avons gagné. (…) À Vallecas, nous avons la chance d’avoir un peu plus de monde à chaque match, nous n’avons pas le droit à l’ennui. C’est comme un film, si le voisin te dit qu’il est chiant à mourir, tu ne vas pas le voir, le bouche à oreille est très important. (…)

Le quartier est le fidèle reflet de ce qu’est aujourd’hui cette équipe. Si on prend 6-0, on ne se fait pas enfoncer, on cherche des solutions pour s’améliorer. Nous nous imprégnons du quartier. Au début de chaque saison, les Bukaneros viennent toujours parler avec les joueurs, et la seule chose qu’ils nous demandent c’est qu’on fasse bloc ensemble. Certains joueurs n’en croient pas leurs yeux. Ils sont charmants. Je le sais, parce que j’ai moi-même été joueur ici, mais je le dis aux nouveaux : si vous vous dépouillez, on ne vous lâchera pas. Cela donne beaucoup de sérénité. L’an passé, nous étions lanterne rouge, et le FC Séville est venu jouer ici : nous avons perdu, mais les joueurs ont dû ressortir saluer les spectateurs parce qu’ils étaient restés pour les applaudir. Ils avaient compris qu’on avait tout donné. Tous les supporters n’agissent pas ainsi. Savoir que les gens seront toujours à tes côtés est fondamental. Si ça va mal, ils seront là. Et l’an passé, ça a été un élément clef. Je ne crois pas au hasard : à partir de ce match-là contre Séville, nous avons enchaîné sept victoires en dix matches, pour seulement deux nuls, et une défaite contre le Real.

Bielsa dit : "Que l’on gagne ou que l’on perde, le plus important c’est la noblesse des moyens utilisés. L’essentiel, c’est la beauté du chemin que tu empruntes en vue de ton objectif". Bielsa ne dit jamais de bêtises, et j’ai beaucoup à apprendre de lui. Bien sûr, les résultats constituent une contrainte, et peuvent te donner l’illusion que tu es meilleur ou pire que ce que tu es réellement. Le football est très exigeant au niveau mental. Tu passes du sommet à six pieds sous terre en une demi-heure. Et si tu ne sais pas gérer cet état, cela te bouffe. Savoir ce que tu veux est primordial pour que le football, les supporters, les médias, ne te détruisent pas. Parce que si tu agis en fonction des résultats, tu deviens une girouette.

Le plus grand plaisir, c’est d’obtenir des résultats qui découlent de ce qui a été mis en place précédemment. Donc il ne faut pas tout changer tous les trois matches. Se laisser aller à ses émotions, c’est ce qui rend les gens vides et incontrôlables. Bielsa est quelqu’un de très sensé et intelligent. Les résultats du Rayo sont de ma responsabilité, mais j’essaierai toujours que cela n’affecte ni ma méthode ni ma motivation.

Les matches durant lesquels j’ai pris le plus de plaisir sont ceux que nous avons joués contre l’Athletic Bilbao de Bielsa. Même quand nous avons perdu, parce que c’est toujours un plaisir continu. Les gens pensent qu’on ne prend du plaisir qu’à regarder notre équipe, mais ce n’est pas vrai, on profite aussi de l’adversité, dont on a besoin parce qu’elle te pousse à être plus exigeant envers toi-même. L’un des plus beaux matches dont je me souvienne, c’est celui que nous avions gagné dans le vieux San Mamés. C’était inoubliable. Au final, nous avons gagné parce que nous avons eu plus de réussite, mais ce fut une ode à tout ce que nous aimons dans le football. J’en ai parlé avec Bielsa dans le tunnel après le match et nous étions d’accord : quel plaisir ! Je peux dire bien des choses de Bielsa, même le qualifier amicalement de fou, mais il n’a vraiment rien de naïf. (…)

Le football est le sport le plus important dans notre pays, à des années-lumière des autres. Le football est le sport roi par excellence ici. Tout le temps, partout, on ne parle que de ça. La majorité des enfants veulent devenir footballeur, la majorité des grands événements sont liés au football... En plus, l'Espagne est une grande puissance mondiale du foot. Nous devons en prendre soin, faire en sorte qu'il prenne le bon virage. Nous avons eu un très bon cycle, sans doute le meilleur de l'histoire de ce sport, mais nous devons être capable de nous remettre en cause, de nous renouveler.

Le problème du football espagnol, c'est que beaucoup de personnes l'utilisent à des fins qui ne sont pas louables. Quand un sport comme le football est suivi par tant de personnes, avec tant de passion, avec tant d'enthousiasme, qui procure autant de joie que de tristesse, il est malheureusement logique que des gens mal intentionnés l'utilisent. C'est quelque chose de presque inévitable. Pour moi, le football doit avant tout être mis en avant pour son aspect social. Ce sport a un énorme potentiel économique. Plus qu'avec de la publicité, il faut l'utiliser pour qu'il génère beaucoup d'argent et aider des gens dans le besoin. Pour moi, le football est de loin le meilleur sport au monde parce qu'il permet de faire de grandes et belles choses.

Le football a cela de curieux qu'il est capable d'unir des gens très différents. Dans les tribunes d'un stade, tu peux voir un chrétien à côté d'un musulman, un Serbe à côté d'un Croate, un Russe à côté d'un Ukrainien... Des gens très différents, aux opinions opposées, aux croyances différentes, se retrouvent dans un stade pour partager la même passion. Le football pacifie, le football unit.

 


Source: Sofoot, Eurosport, lescahiersdufootball

Posté par Aimar
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