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En Une | El Soci Opina | samedi 6 juin 2009 à 21:19
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Epoustouflant de talent et de fraicheur, le Barça cuvée 2008-09 a été un casse-tête pour tous les entraîneurs. Témoignage (fictif) du plus illustre d'entre eux, qui aspire sans doute à prendre sa revanche l'an prochain.
18:06 : Tic, tac, tic, tac... 35 ans que j'entraîne, dont 22 à la tête de ce club, et jamais le temps ne m'avait paru aussi long. Et pourtant j'en ai connu des gros matchs, des derbies, des finales. Ron et Leo n'étaient que des gamètes quand j'ai touché le ciel avec Aberdeen. 1983. Thriller se vendait comme des petits pains. Reagan parlait de guerre des étoiles. Malouines Thatcher s’apprêtait à faire péter les urnes. Et moi j’étais au pays d’Abba, à l’époque où la mécanique réagissait encore à la vue d’une belle blonde. Mais il y avait plus jouissif à Göteborg : le Real, le gigantesque Real qui était venu chercher ce trophée qui lui manquait encore et qu’il n’aura en fin de compte jamais gagné. Ce but de Hewitt à la 112e, j’ai l’impression que c’était hier. Le Barça, je l’ai battu aussi. Mark Hugues une fois, Mark Hugues deux fois, le sort n’aurait pu désigner meilleur vengeur s’il avait voulu se montrer ironique. Manquerait plus que Piqué me rende la pareille, tiens. J’ai probablement manqué de flair en lui préférant Evans. C’est un bon petit celui-là, mais force est de constater qu’en matière de jeunes pousses la Masia est une sorte de label AB, gage ultime de fraîcheur et de qualité. Dire que Puyol a failli signer chez nous en 2003, que j’ai longtemps songé à l’opportunité de faire venir Xavi. Mais faut croire que ces gens-là ont ce club dans la peau. C’est compréhensible tout de même. C’est une institution immense, à l’image du Camp Nou, stade qui a fait ma légende au terme de la plus belle nuit de l’histoire d’United.
20:15 : Encore une demi-heure. Les gars sont fins prêts. Giggsy est déterminé. Fletch va manquer. Buteur, passeur, récupérateur, travailleur hargneux, il a été décisif cette année. Sa suspension injustifiée risque de peser dans la balance. Heureusement qu’ils ont aussi leur lot de galère. Les voilà obligés de se trimballer des Busquets et des Sylvinho. J’aurais cru Pep plus futé. Quelle idée de remettre Touré en défense. Les mises en garde sont pourtant allées de bon train. Souvent pris dans le dos, mal aligné, il n’a pas sa place derrière. Et se priver de son apport au milieu revient à se tirer une balle dans le pied. J’ai visionné mille fois leur match à Stamford Bridge, notre match contre Arsenal, la double confrontation de l’an dernier. Leur laisser l’initiative ou les prendre à la gorge d’entrée ? Impossible de me décider. Certes, si on repousse leur ligne de récupération, si on est en bien en place, si on coupe les liaisons entre leurs relayeurs et leurs attaquants, on peut rendre leur possession stérile. Mais diminués comme ils sont, se contenter de subir et d’attendre un coup du sort équivaudrait à passer à côté d’une opportunité inespérée.
20:32 : Viens l’heure de la causerie pour laquelle je me suis levée très tôt dans la matinée. Ecarter… Solidité… Messi… Moscou… Les mots-clés sortent et reviennent tous seuls, comme si je les avais accouchés sur papier il y a des lustres et les avais répétés pendant tout ce temps. Je promets même aux gars qu’ils me verraient avec mon plus beau kilt s’ils ramenaient la coupe, avant de leur lancer un dernier « come on ! » pendant qu’ils quittent le vestiaire.
20:41 : Le thème de Gladiator résonne quand je franchis le tunnel. Andrea Bocelli sous son jour le plus noble, épique, mythique, à l’image, tout le monde l’espère, de cette finale. La coupe en plein milieu est scintillante, reflétant les silhouettes floutées de Giggsy et Puyol. La musique aidant, j’y vois Maximus prêt à en découdre avec Commode. Ils auraient voulu me flanquer un infarctus, ils ne s'y seraient pas pris autrement. L’hymne de la ligue des champions va être joué. « Ils sont les meilleurs patati patata ». Je l’ai entendu des centaines de fois. Il faut cependant avouer que dans la bouche du ténor ça a une saveur particulière. Ron tire la langue. Il a l’air serein. Le classique ne l’atteint pas. Pas étonnant quand on a pour idole Ricky Martin et que notre chanson préférée est Livin la vida loca. Je suis plus tendu que lui évidemment. Je goute à mon premier chewing-gum de la soirée. Pas terrible ce goût de menthe. Le même que dans le gigot d’agneau de Cathy. Les ritals ont pour eux la gomina, le Pape et le vin. Leur demander en plus d’avoir l’Extra strong mint de Tesco serait too much.
20:45 : Monsieur Busacca siffle le coup d’envoi. La balle est pour les catalans. Nul besoin de brailler le long de la touche, mes joueurs savent d’entrée ce qu’ils ont à faire. Ne pas les laisser développer leur jeu. Les tenir loin de la cage. Se projeter rapidement vers l’avant et tenter de faire mouche sur la plus petite opportunité, à commencer par les coups de pieds arrêtés. Ron presse Valdes sur le premier ballon. Une touche déjà. Un coup-franc, encore mieux. Ron s’en charge. Vas-y mon grand ! Oooh ! Valdes n’a pas l’air serein. Il faut aller le chercher ce soir. Peut-être sur ce corner… Roon… Non plus. Sylvinho essaie de répliquer. Il est bien encerclé. Park comme Roon ont du balai à faire sur leur flanc respectif. Je pensais voir Eto’o sur le côté mais lui et Messi sont à leur place traditionnelle. Ce n’est pas plus mal, mais à un moment ou un autre ils permuteront. Pourvu que ce soit le plus tard possible. Ron est en feu ce soir. Il tente dès qu’il en a le moyen. C’est bien. Et surtout, Xavi et Iniesta sont muselés, c’est la consigne de base. Attention à Andres tout de même, il a le ballon et est capable de tout faire avec. Oh putain cette accélération ! Vida ? Edwin ? Non ! Non ! Pas ça ! Que m’avez-vous fait ?
21:17 : Quel cauchemar ! Un début de match presque parfait et depuis le coup de massue d’Eto’o plus rien. Iniesta se ballade. Xavi se ballade. La permutation Eto’o – Messi a fait mouche immédiatement. Les couloirs sont bloqués. L’axe est bloqué, et par qui ? Par Busquets, un mec inconnu au bataillon il y a neuf mois à peine. Le milieu a rarement été aussi défaillant. Mike tente de limiter la casse, mais les deux autres n’y sont pas. Andy souffre. Il manque de repères à droite, ne pouvant ni colmater les brèches ni accélérer sur le côté. Quant à Giggsy… Ai-je fait le bon choix en le titularisant ? Scholesy, droitier, aurait été la solution de dépannage la plus logique. Mais je ne pouvais prendre le risque de l’aligner en dépit de sa deuxième moitié de saison en demi-teinte. Il rate des passes simples, ne fait pas de bons choix et il lui arrive de commettre des fautes inutiles et méchantes, symbolisant peut-être son impuissance à lutter contre le poids des années. Tout ceci combiné aux récentes bonnes perfs de Giggsy, c’est à la fois le choix de la raison et celui du cœur. Ca fait quand même 18 ans que je côtoie mon gallois préféré. A 35 ans, son adaptation au poste de milieu a été remarquable. Il méritait sa place, comme une sorte d’apothéose pour tous les formidables services rendus. Seulement ce n’est pas Boro ou Aalborg que j’ai devant moi. C’est le Barça. Et pour être performant devant ce Barça-là, rien ne doit être laissé au hasard. Tout doit être parfait. Il ne faut laisser place à aucun sentimentalisme. Et quand même bien c’est rarement suffisant.
21:28 : La pause approche. Je dois retoucher le milieu. Le 4-3-3 malléable en 4-5-1 ne peut être viable sans Hargo ni Fletch. Repasser à un milieu à quatre permettrait de profiter du terrain dans toute sa largeur et de doubler les solutions dans le carré adverse. Notre milieu de terrain perdra peut-être en densité, et le terrain sera moins bien quadrillé, mais je n’ai guère le choix. Carlitos est un SuperSub. Il est teigneux, explosif balle au pied et peut faire la différence à tout moment, comme Teddy et Ole l’ont fait en d’autres temps.
22:02 : Quelle désillusion ! A part quelques rares incursions, les joueurs n’arrivent toujours à rien. Les ballons longs n’arrivent pas à destination, sinon à des partenaires encerclés et excentrés. Et chaque fois qu’on essaie autre chose, de construire proprement, on se fait chiper le cuir illico et on peut toujours courir pour le récupérer dans de bonnes conditions. Faut-il se résigner à subir de la sorte ? Tout ce que je constate, c’est qu’on loue ce Barça comme une magnifique machine à jouer. Je pense que c’est aussi une formidable machine à déjouer dans le sens où on ne peut rien développer quand on l’affronte. C’est la seule équipe qui déjoue en jouant. Je pensais que cette défense diminuée serait son talon d’Achille, mais il n’en est rien. Quelle mobilité de tous les joueurs, à commencer par les lignes arrières, qui n’hésitent pas à sortir de leur base avec discipline, récupérant le ballon haut et le relançant proprement, bien aidé il est vrai par les efforts monstrueux de tous leurs partenaires. Et je suis bien placé pour le dire. Un pressing constant, des solutions à tous les niveaux, de la maîtrise collective et individuelle permanente. J’ai rarement vu une équipe jouer de la sorte, en tout cas jamais sur une saison entière. Car si ce n’est surement pas leur meilleur match de la saison, c’est peut-être le match où ils ont réussi à juguler le mieux l’adversaire, à le dégouter en le dépossédant de son football. Mais tout n’est pas perdu. Berba peut servir de point de fixation. Il décroche bien, et habile techniquement, bon de la tête, et Carlitos n’est jamais aussi dangeureux que quand il tourne autour de lui. C’est un domaine à exploiter. Le seul moyen de faire exploser ce milieu impérial est tout simplement de le contourner par le biais de longs ballons. Continuer à batailler dans l’entrejeu relève du suicide.
22:11 : Cette fois c’est bien fini. Game over. Quand un nabot se met à marquer de la tête face à une charnière hégémonique dans les airs et en lobant un gardien de deux mètres, vous avez beau savoir qu’il reste vingt minutes, vous savez que les carottes sont cuites. Non seulement rien n’a marché comme prévu depuis l’ouverture du score, mais voilà que je dois faire face cette ultime douche écossaise. Je peux lancer Scholesy, pour la forme et pour ne pas avoir de regrets, mais le mal est fait. Je suis abattu. Laminé à plates coutures par un rookie. Qu’est-ce qu’il pouvait m’arriver de pire ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ce soir ?
09:04 : Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Certains auraient compté les moutons, j’aurais pu compter le nombre de fois où j’ai refait le match dans ma tête. Je manque de lucidité pour pouvoir analyser clairement la rencontre. Seul un avis extérieur peut m’être d’une utilité. Il est où ce téléphone ? Menu… Répertoire… G…U…
« Allo ?
- Guus ? Ca va ? Tu as un moment ?
- Salut Alex. Là je suis libre. J’entraîne les gars dans une heure, on essaie de préparer au mieux ma première et dernière finale avec Chelsea.
- Il y aurait pu en avoir une deuxième. Il s’en ait fallu de quelques secondes…
- Oui. A ce propos, je suis désolé pour la rencontre d’hier.
- C’est dur mais on fait avec. Qu’est-ce qu’il nous a manqué à ton avis ? Je veux dire par rapport à vous qui aviez failli les faire descendre de leur piédestal ?
- Bof. Tu sais, les journaux ont dit qu’United fait tout ce que sait faire Chelsea mais en mieux. J’ai trouvé ça un peu vexant pour nous mais c’est de bonne guerre. Vous avez des bonnes armes, nous avons les nôtres. Globalement, je pense que votre équipe est un poil plus complète, mais nous étions les mieux armés pour venir à bout de ce Barça. Certes, le contexte est différent. C’est une double confrontation. Mais quoi qu’il en soit, nous disposions de toutes les cartes pour les neutraliser. Nous pouvions leur opposer pendant 180 minutes tout ce qu’ils n’aiment pas. Nous sommes capables de jouer très dur sur l’homme. Notre défense peut jouer très bas et de manière statique sans encaisser de buts pendant des heures, encore faut-il qu’elle soit déterminée et appliquée. Nous avons de véritables garde-fous au milieu. La présence de Didier nous permet de sauter les lignes. A côté de lui nous avons des attaquants rapides et efficaces en contre. Certes, vous aviez un grand nombre de ces qualités, mais vous n’avez pas pu réunir les réunir toutes tout le long du match. Même nous qui y sommes parvenus ne sommes pas passés.
- Tu penses que ce Barça était prenable ?
- Là n’est pas la question. Il faut savoir si à l’avenir une équipe les détrônera. Ils ont pratiqué un football exceptionnel, mais il faut comprendre que tout va très vite dans ce sport. Une équipe triomphante devient le modèle à battre. Son jeu est disséqué. Ses adversaires apprennent de leurs erreurs. Si elle se repose sur ses acquis, elle est morte. J’ai quelques fois discuté avec mon compatriote Frank Rijkaard en 2006. Il était obnubilé par Chelsea. La défaite 4-2 à Stamford Bridge l’obsédait. C’était devenu son match référence. Ils sont arrivés l’année d’après en se focalisant sur des erreurs qu’ils ont commis lors d’un unique match après une saison pourtant excellente. Ils savaient que pour soulever la coupe aux grandes oreilles il fallait être capable de se montrer plus fort que Chelsea, et ils ont travaillé dans ce sens alors que rien ne garantissait que les Blues allaient se mettre en travers de leur route. Car c’est ça la ligue des champions. C’est le niveau au-dessus. Il faut ambitionner la perfection si on veut la gagner, et faire encore plus si on veut conserver son titre. Le Barça de Frank a triomphé contre Chelsea et sur l’Europe en 2006. Chelsea est revenu plus fort contre le Barça l’année suivante, en exploitant les lacunes adverses. Vous êtes devenus plus fort après votre déroute à San Siro. Le Barça a engrangé beaucoup d’expérience après ses échecs Outre-manche, notamment contre vous. On voit plus facilement ses faiblesses dans la défaite, et c’est toujours d’une grande défaite que se construit un grand triomphe. Mais est-ce qu’une équipe peut remettre en question deux ou trois choses après une saison historique ? C’est souvent plus compliqué. Le match référence du Barça cette année ne doit pas être Real – Barça, ce doit être Chelsea – Barça. Car dorénavant deux options se présentent pour leurs adversaires. Soit prendre le Barça pour modèle, et c’est d’autant plus difficile que cette équipe a pris le contre-pied de l’évolution du football moderne, privilégiant la finesse technique et la construction à l’engagement physique et l’art du contre, soit prendre Chelsea, autrement dit l’anti-Barça, pour modèle.
Que ce soient Manchester, Chelsea, l’Inter, le Real ou un autre, le prochain champion d’Europe sera celui qui aura compris comment battre le Barça, et aura travaillé dans ce sens. Peut-être qu’il n’aura même pas à battre les catalans, que cette équipe se sera dynamité par elle-même ou battu par une autre, mais ça ne pourra que l’avoir fait progresser. Plus une équipe impressionne, plus elle entraîne dans son sillage ses autres adversaires, ce qui induit une élévation du niveau global. Si le Barça applique le dicton « on ne change pas une équipe qui gagne », il peut se focaliser sur les compétitions domestiques. Toute aussi forte soit-il, ce groupe doit continuer à avoir faim, à travailler humblement et à améliorer ses quelques lacunes. Ca ne veut pas dire révolution, mais évolution permanente. Il doit être capable de surprendre de nouveau, comme il a incroyablement surpris et ravi les amateurs de ce sport cette année. »
Posté par Kill Duckadam
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